Éclair sur l’association humaine
Du bout auquel tendent toutes les associations humaines.
Malgré les énormes abus des pouvoirs qui gouvernent la terre, toutes les associations humaines, de quelque genre qu’elles soient, ont intégralement un but unique que frappe les yeux, et que personne ne peut contester. Car on le voit écrit, non-seulement dans le desir intime des gouvernés, mais encore dans toutes les hypocrisies des gouvernans, qui sont obligés de colorer de son nom leurs mal-adresses ou leurs brigandages, et qui, tout en molestant l’espece humaine dans ses possessions, dans son repos, dans sa vie même, ne se permettent pas cependant de nier formellement ce but authentique, et de mentir hautement à la pensée de l’homme.
Or, ce but, ce terme auquel tendent en réalité tous les gouvernés dans toutes les associations humaines, et où tendent au moins en paroles les gouvernans, quel est-il ? N’est-ce pas de voir regner et d’établir parmi les hommes assemblés et dans la force souveraine qui se présente pour les régir, une justesse, une justice, une sagesse, une prévoyance protectrice, une sorte d’ordre puissant et fécond, inconnu à l’être purement animal et non intelligent, un ordre qui n’appartienne qu’à la classe distinguée de l’homme, c’est-à-dire, qu’à la classe pensante, qu’à la source de la pensée, et par conséquent qui soit divin, puisque, selon toutes les notions humaines, il n’y a qu’une pareille source d’où puissent dériver tous ces caracteres ?
Nous ne nous égarerons donc point en disant que c’est aux fruits purs de la pensée divine et à la base même de cette lumiere positive que les publicistes et les instituteurs des nations veulent aussi atteindre dans toutes leurs doctrines, puisqu’ils ont tous la prétention d’y être arrivés, et l’assurance de vouloir nous les persuader, lors même que, par leurs méprises et leurs ténebres, ils s’en tiennent à une si grande distance, et semble nous mener au terme opposé.
En effet, si le but auquel ils veulent nous conduire est cet ordre puissant et fécond inconnu à l’être purement animal et non intelligent, pourquoi vont-ils donc chercher les éléments de l’association humaine dans les simples besoins de notre être matériel et physique ?
Parmi les nombreux publicistes qui ont fait ce faux pas, je citerai seulement Helvétius, dans son Essai sur le droit et les lois politiques du gouvernement français. Il fait naître du travail libre l’amas des subsistances ; et de l’amas des subsistances, il fait naître la propriété, qu’il regarde alors comme étant de droit naturel ; et enfin de la prévoyance naturelle à l’homme, il fait naître la réunion des forces pour la conservation des subsistances, et par conséquent, selon lui, la formation des associations.
Mais dans tout ceci, je ne vois rien qui s’éleve au-dessus de la classe non intelligente et purement soumise à la loi physique. Car j’apperçois parmi les animaux plusieurs especes qui s’adonnent au travail pour l’amas de leurs subsistances, et qui, pour leur conserver, quand elles sont menacés, vivent aussi en association, sans que cependant il dérive delà un état social politique conforme à ce but sublime dont nous venons de parler, et que les publicistes se proposent ; et même le mot libre, qu’emploie Helvétius pour peindre le travail de l’homme, ne prouve rien ici ; car le travail en question a dû, selon les écrivains, avoir lieu d’abord pour l’individu, avant que cet individu fût membre du corps social, et que sa possession devint propriété ; ainsi ce travail matériel libre individuel n’explique point le passage de l’état naturel à l’état politique, et ne se montre point évidemment comme l’élément positif de l’association, puisqu’un homme qui ne posséderoit rien ne pourroit jamais devenir membre de la société.
D’un autre côté, cette prévoyance que les publicistes accordent à l’homme, parce qu’ils ne connoissent que l’homme civilisé, est bien loin de se trouver universellement dans l’homme sauvage qu’ils étudient mal, et duquel cependant ils veulent faire dériver tous les ingrédiens moraux dont ils ont besoin pour composer l’homme politique. En effet, Rousseau, qui en ce genre, n’a pas remonté plus haut qu’eux, nous dit que certains sauvages vendent le matin leur hamac, sans songer qu’ils en auront besoin le soir pour dormir.
Les publicistes ne sont guere mieux fondés dans leur opinion sur la propriété considérée comme base de l’association. Le voyageur le Vaillant nous dit, que parmi les Hottentots, nul n’a le droit de retenir ce qui appartient à tous, et que la moindre inégalité seroit la source des plus grands malheurs ; il dit aussi que tel est le caractere du vrai sauvage, et que telle est la nature.
Si la propriété en commun est celle de la nature, la propriété individuelle ne l’est donc plus, ou elle n’a dû marcher qu’après l’autre, ainsi qu’en a jugé Rousseau, lorsqu’il a dit, que celui qui, le premier, enferma un champ, et le regarda comme à lui, fut l’ennemi du genre humain.
Par conséquent, cette propriété individuelle ne sera point le premier élément de l’association, ou bien il faudra se contredire, et montrer maintenant cette propriété individuelle comme antérieure et plus naturelle que la propriété commune ; ensuite il faudra nous montrer par la même inconséquence l’ordre social civilisé des grands peuples, comme étant d’un degré plus près de la nature que l’ordre sauvage, puisque parmi ces grands peuples civilisés, on est bien loin de la propriété commune, et que chacun n’y songe qu’à sa propriété particulière.
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Un opinion sobre “Cercle Social. Éclair sur l’association humaine (1797)”